La mort silencieuse des projectionnistes

Discussions en rapport avec le cinéma et les techniques cinématographiques.
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Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le titre d'un article qui vient de paraître dans Le Temps. C'est un journal suisse, mais l'article aurait tout aussi bien pu se trouver dans un journal français.

Allez, comme j'ai pris de bonnes résolutions pour 2018, je suis sympa, je colle le texte.
Et pour les plus pressés, voici la conclusion : "La disparition des projectionnistes n’a pas fait de bruit. Silencieux et discrets, jusqu’au bout."
La mort silencieuse des projectionnistes

Des bobines 35 mm aux disques durs: dans les cinémas, le métier de projectionniste n’a pas résisté à la transition numérique


Un bon projectionniste avait au moins deux qualités: il était silencieux et discret. Dans l’ombre de la cabine, juste avant la séance de cinéma, il devait faire courir le ruban de pellicule 35 mm dans les moindres recoins du «chrono», les fins rouages du projecteur. Ensuite, une fois les spectateurs installés, il ouvrait les rideaux, réduisait la luminosité de la salle et, enfin, lançait la machine. Le puissant xénon s’enclenchait dans un bourdonnement. En quelques secondes, les Cinemeccanica ou autres Victoria cliquetaient jusqu’à leur vitesse de croisière. Le volet s’ouvrait dans un claquement sec… Le film pouvait commencer.

«Ce métier est mort», assène Pascal Portner. Le responsable des projections à la Cinémathèque suisse n’a guère de doutes là-dessus, même s’il projette, lui, encore un bon nombre de films en 35 mm dans le cadre des rétrospectives. En déambulant dans son royaume encombré de vieilles bobines et d’affiches de films – il faut presser sur une Rita Hayworth en bois, grandeur nature, pour allumer la lumière –, il énumère les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui pour faire tourner ses vieux projecteurs. «Je ne trouve plus de lentilles. Je ne sais plus à qui demander de l’huile pour les moteurs. Même le scotch: j’en commandais à Berne, puis on m’a renvoyé à Zurich, et maintenant je cherche à Londres… Les stocks sont épuisés.»

Pas de statistiques
Comme l’Office fédéral de la statistique, ProCinema, la faîtière du secteur, n’a pas de chiffres sur le déclin de cette profession. Mais la formation que proposait l’association «a été mise en attente pour le moment» puisque «la profession de projectionniste n’existe plus».

A l’époque, un film de deux heures mesurait cinq kilomètres et pesait plusieurs dizaines de kilos. Les distributeurs les transmettaient aux salles en plusieurs bobines d’environ 600 mètres chacune, par poste, dans de grosses boîtes en carton. Aux projectionnistes de les scotcher en un morceau et d’en assurer la diffusion. Aujourd’hui, les lourdes bobines de triacétate de cellulose ont été remplacées par des disques durs nommés DCP (Digital Cinema Package).

La dématérialisation est même allée plus loin: les films, cryptés, sont généralement téléchargés par les exploitants sur leurs serveurs (jusqu’à plusieurs centaines de gigas pour un film en 3D). On les décode avec une KDM (Key Delivery Message), sorte de clé de plusieurs milliers de caractères fournie par fichier informatique. Ne reste plus qu’à programmer les différentes séances dans le TMS (encore un anglicisme, cette fois pour Theater Management System) et tout est lancé automatiquement. En Suisse, deux entreprises (Gofilex et Diagonal) se sont imposées ces dernières années comme intermédiaires entre les distributeurs et les exploitants pour la transmission des films.

Transition rapide
La bascule s’est opérée en 2009 avec le lancement mondial d’Avatar. Cette superproduction de James Cameron était le premier blockbuster à exploiter la 3D, nécessitant donc une projection numérique – impossible de rendre la 3D avec de la pellicule. Les attentes (présumées) du public ont poussé bon nombre d’exploitants à sauter le pas de la projection numérique. Ensuite, la transition s’est effectuée rapidement.

«C’est allé très vite», confirme José Aubry. Le responsable des projections des cinémas de Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds et Delémont a vu son travail changer considérablement depuis sa formation de projectionniste réalisée en France il y a… quarante ans. «Télécharger des films, gérer des playlists… ce n’est plus de la mécanique mais de l’électronique», observe-t-il. Aujourd’hui, il y a un opérateur par ville, parfois moins, cela dépend de l’organisation de l’exploitant.

De la projection à la diffusion
Car le film peut être lancé de «n’importe où», s’enthousiasme Thierry Hatier. Avant d’être le patron de Pathé Suisse, ce dernier était le directeur des ressources humaines du groupe français de cinéma: «J’ai été responsable du devenir de plusieurs centaines de projectionnistes pour lesquels j’ai organisé des transferts de compétences.» Certains se sont spécialisés dans l’électricité ou le chauffage. D’autres sont devenus informaticiens.

Les yeux tournés vers l’avenir, le patron évoque déjà la fin du concept même de projection. «Dès 2019, annonce-t-il, nous commencerons d’équiper nos salles avec de très grands écrans LED transmettant directement le film…» Pour rester à jour, Pathé Suisse a investi ces cinq dernières années plus de 80 millions de francs dans ses huit multiplexes.

Magie du cinéma, rares sont les spectateurs qui auront constaté cette transition. Comme le remarque Thierry Hatier: «Beaucoup croient que la pellicule est morte depuis très longtemps. D’autres pensent que l’on en projette encore.» La disparition des projectionnistes n’a pas fait de bruit. Silencieux et discrets, jusqu’au bout.
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C'est "marrant" de conclure cet article sur la mort des projectionnistes par la mort de la projection tout court. Va t'on venir au cinéma pour voir une grosse télé :( (avec quand même des caractéristiques à faire pâlir d'envie n'importe quel système de projection...)? Ou est ce que le coût restera prohibitif au point de ne faire que quelques salles "prémium"?
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Il y a quelques phrases difficiles à lire sans grimacer (genre impossible de rendre la 3D avec de la pellicule, lol en rire jaune!) mais bon... Merci du partage.
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le devenir du cinéma ... de grands écrans led ... cela me rappel une discussion sur ce forum ou ailleurs je ne sais plus, ça craint :/
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denis a écrit :le devenir du cinéma ... de grands écrans led ... cela me rappel une discussion sur ce forum ou ailleurs je ne sais plus, ça craint :/
Oui ça craint ! si le cinéma ne devenait qu'une télé géante je me demande si je continuerai d'y aller. Et puis la magie de la projection ? Ou sera t'elle ?
Je me souviens de mon enfance, intrigué par ce rayon lumineux qui sortait de la petite fenêtre, transportant la poussière ambiante et se transformant en images vivantes ...
Il ne restera donc que quelques fous comme moi pour se souvenir de ce que signifiait le mot "Cinéma" ... :(
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Je ne suis pas vraiment enthousiaste à l'idée de l'arrivée des écrans LED d'autant que les démos que j'ai pu voir sont bonnes mais pas renversantes. OK le contraste est exceptionnel mais on peut déjà faire de très belles choses en projection. Pour moi, ce n'est pas suffisant. Quant à la super luminance (monter à 1000 candelas au lieu de 48) pourquoi faire ? Passer un certain cap, ça n'a plus de sens.

Le LED aura un marché.C'est sûr mais il faut raison garder. Les problématiques techniques sont grandes (uniformité, maintenance). Le TCO (Total Cost of Ownership / le coût pour le propriétaire pour utiliser son équipement) est pour le moment bien supérieur à la projection car le LED consomme beaucoup plus d'électricité qu'un proj xénon ou Laser. Pour du 12 mètres de base, le prix à l'installation est 15 fois plus cher qu'un modèle xénon. Ca pique et je n'ai pas encore parlé du son...
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Dernière chose pour le LED: c'est un système remarquablement peu flexible. En projection, on installe un cadre pour l'écran et on le tire. On peut faire du mur à mur dans de nombreuses salles. Ensuite, il suffit de choisir le bon objectif.

En LED, il faut composer avec les dalles et on ne peut pas les découper... C'est donc difficile voire impossible de faire du mur à mur dans la plupart des cas et il faut sacrifier la taille de l'écran.

Pour l'instant, Samsung ne commercialise qu'une solution LED au format 1.90. Pas d'autre choix. Imaginer installer un LED 1.90 dans une salle conçue pour le scope (réduction drastique de la largueur) pour finir par diffuser des contenus scope sur le LED...
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Là-dessus, sur les ratios, je parie que des solutions seront trouvées à moyen terme. Pour le son, j'imagine que les difficultés seront contournables, voire qu'on nous convaincra que des HP hors écran qui crée une image sonore en visant l'audience c'est tellement tellement mieux. Quant à la définition même du cinéma, elle a été rebootée à chaque innovation (dès l'arrivée du sonore et même avant...) et nous serons bientôt balayés par une génération qui s'en tape le cox!
J'aimerais bien que certains acteurs du milieu atterrissent par contre, et se rendent compte qu'ils ont mis le doigt dans le monde de la mise à jour permanente, de la course à l'innovation un peu démente et que ça pue un peu. Toutes ces innovations, pour le moment, ça semble être une multitude de propositions pour voir différemment la même chose, mais on le connait notre joli marché, et ses lois du marché... tout le monde cherche le futur monopole de demain.
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003654 Si tout cela arrive et je pense arrivera il faudra trouver un autre nom au cinéma :(
Le cinématographe des frères Lumière vit-il ses derniers instants ? Les générations d'aujourd'hui n'auront aucune idée de cette histoire. Aujourd'hui le temps passe trop vite et les évolutions techniques aussi. Pour les jeunes et les nouvelles générations la nostalgie n'est pas de rigueur. Les projecteurs numériques ont encore la notion de projection mais qu'en sera t'il des écrans LED qui recevront directement les images par un réseau informatique ?
Modifié en dernier par sylpieste le mer. 3 janv. 2018 - 18:16, modifié 1 fois.
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Ce matin après avoir lu cet article et vos commentaires, j'ai fait tourner mon V5, quel bonheur d'entendre cette mécanique ! Quel plaisir d'entendre le cliquetis du film et quel plaisir de voir décoller la poussière de mon local pour me montrer le chemin de la lumière ... Nostalgie ;)
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sylpieste a écrit :Les projecteurs numériques ont encore la notion de projection mais qu'en sera t'il des écrans LED qui recevront directement les images par un réseau informatique ?
C'est à peu près déjà le cas pour le réseau informatique (Globecast et consorts…).
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proj a écrit :Quant à la super luminance (monter à 1000 candelas au lieu de 48) pourquoi faire ?
Je crois que l'idée, c'est de pouvoir faire quelque chose à l'écran avec les lumières de la salle grandes allumées...

Comme dit Sylpieste, ça ne sera plus du cinéma. ça ressemble à un concept pour salle polyvalente de projection. La polyvalence, c'est pas forcément ça qui rentabilise un matériel hors de prix. Donc c'est pas du tout évident que ça devienne la règle dans ce monde de rentabilité impérative (et parfois de bon sens :mrgreen: ).

Par contre ça peut être une vitrine publicitaire pour un multiplexe. ça me semble plus crédible. Mais tout dépend des prix de vente qui seront pratiqués dans 5, 10 ou 15 ans.
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J'adore la projection mais je ne pense pas que l'idée du cinéma lui soit intrinsèquement liée. Du moment que l'on respecte les oeuvres et les artistes derrière, c'est l'essentiel.
Je crois que l'idée, c'est de pouvoir faire quelque chose à l'écran avec les lumières de la salle grandes allumées...
Exactement et là ça me gène puisque des exploitants pensent à servir des repas comme dans un restaurant grâce à cela. Et là, à mes yeux, on franchit une ligne rouge... L'expérience cinéma est banalisée et vulgarisée. Autant rester devant sa TV en attendant que l'offre légale soit encore plus généreuse et rapidement accessible.
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déjà la 3 D a la poubelle :wink:

et des petites séances en 70 mm c est trop rare.

après le déclin des ouvreuses, le déclin des projectionnistes, enfin le cinéma il va que rester le nom a cette allure.

et le sujet de mon poste démontre peut être que le projectionniste est pas si inutile que cela en numérique.
si tous est automatisé, c est pas sur que cela favorise l excellence des prestations.

Après on va au cinéma pour la convivialité aussi, si on retire cela, a mon avis ils vont se mettre une balle dans le pied.

il y a des réalisateurs aussi, clame avec forces de pas abandonner les tournages sur pellicule, je pense que tourné en numérique c est pas tous a fait pareil que de tourner avec la pellicule.

déjà le stockage, le numérique est impersonnelle et pas forcément viable avec le temps.

Par contre c est plus facile, moins cher, et avec beaucoup plus de possibilité de tourner en numérique, les 2 doivent cohabiter.
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